10 juillet 2009

Estime-toi heureuse!

Quand j'étais enfant je dessinais, beaucoup, tout le temps, en particulier les paysages dans lesquels je passais mes vacances. J'ai voulu devenir artiste peintre.L'adolescence vaniteuse et par certains côtés superficielle est arrivée au début des années 90. C'était l'époque de la surmédiatisation de la petite dizaine de tops modèles Super Stars. J'ai voulu devenir styliste, et j'ai continué mes dessins, plus figuratifs.L'adolescence touchant à sa fin, n'ayant pas trouvé d'école à mon goût dans ce domaine et le rabâchage continuel de la conscience parentale aidant, j'ai voulu devenir journaliste. Un vrai métier.Finalement je me suis retrouvée en FAC d'Histoire et me suis étrangement spécialisée en histoire médiévale... ce qui est fou à l'université c'est qu'on ne voit pas les années passer. Tous les six mois on passe de nouveaux examens et hop, un beau jour, on se demande ce qu'on fout à étudier l'histoire médiévale et pourquoi on se crève à vouloir essayer de se remettre au latin pour traduire des tonnes d'ouvrages dont certains en vieux français sont entassés aux archives départementales de Grenoble et ce pour tenter d'écrire une monographie sur un village isérois... Là on se dit qu'on risque de finir prof d'histoire ce qui n'était pas du tout le but des opérations. Les années étant effectivement bel et bien passées, l'âge ayant avancé, beaucoup d'écoles des Beaux-arts ne recrutant plus au-dessus de 22 ans, on cherche des solutions pour renouer avec son premier amour. Et hop, on se retrouve parachutée dans une école privée de... marché de l'art. On quitte donc sa province chérie et on s'installe à Paris. L'école propose des cours généraux d'histoire de l'art et surtout des stages.Voilà comment on entre dans la vie professionnelle, par les fameux stages non rémunérés (oui parce que max 300€/mois ça équivaut à ne pas être rémunérée). Le premier en maison de vente, le deuxième dans une galerie de la rue Louise et c'est parti pour la ronde des stages. Je ne conseillerais jamais assez vivement aux personnes en recherche de stage de les effectuer dans de petites entreprises car, dans les grandes, on ne sert à rien d'intéressant.Mon cinquième et dernier stage, j'y suis restée un an. J'y allais trois jours par semaine, trois autres étant dévolus aux cours. La chose la plus intéressante que j'en ai retenu, c'est qu'un grand nombre de galeries tournent grâce aux stagiaires. Dans cette galerie du nord-est parisien, on m'a même demandé un jour de ne pas dire que j'étais stagiaire:" Tu comprends, ce serait mieux à la fois pour toi, comme pour nous, si tu disais que tu es notre assistante, pas stagiaire". Honte de quoi? Honte de passer pour une galerie pauvre? Honte que les autres acteurs du monde de l'art ne pensent qu'ils n'ont pas les moyens d'engager quelqu'un? Pas honte de l'exploitation ça, c'est sûr parce qu'en tout, sur cette année passée avec eux j'ai vu défiler à mes côtés cinq autres stagiaires. Ils auraient donc pu employer une seule personne, laquelle se serait elle aussi plus impliquée dans la galerie que nous, car il faut bien l'avouer, travailler pour la gloire, ça ne motive pas.J'ai trouvé un job très rapidement pas la suite, un job qui ne s'est finalement transformé en vrai emploi que six mois après, mais bon, un job quand même.La masse de boulot est incroyable, celui-ci est passionnant, on ne peut pas en dire autant du salaire.Quand j'étais plus jeune, et qu'on parlait encore en francs, je me disais que si je commençais avec un boulot payé 8 000 F par mois ce serait cool. Là, si on fait le calcul, je commence avec 10 000 F et je devrais donc être SUPER contente, pour un premier travail. Et bien NON, je ne suis pas contente du tout parce que mes 10 000 F ne sont en fait que 1500 €, que je vis à Paris et que je ne peux rien faire avec ce salaire. Estime-toi heureuse, t'as un boulot! Et bien cette phrase n'est pas très réconfortante, parce que oui, j'aurais pu galérer à trouver un boulot, mais ce n'est pas le cas, j'abats du travail pour deux personnes, mes heures sup' (entre 4 et 8 jours par mois) passent aux oubliettes, seule, j'ai pas de quoi me payer un loyer, ou alors un 20 m² pourri. Alors moi les phrases du genre "Travailler plus pour gagner plus" ça a le don de me foutre les nerfs. J'aimerais plutôt entendre " Baisser les charges sociales pour mieux rémunérer", parce qu'à moins que M. Nicolas Sarkozy ne passe un accord avec Dieu pour que nos journées ne fassent plus 24 h mais 48 h, je ne peux pas travailler plus!Mercredi dernier on discutait de cela avec des amies qui travaillent pour des galeristes, elles sont dans un cas équivalent au mien. L'une d'entre elles a fait cette remarque: "Moi, quand je me plains, on me dit souvent 'Estimes-toi heureuse, tu travailles dans l'art' ". Et bien là encore c'est NON, je ne m'estime pas heureuse parce que oui l'art est passionant, plein de rencontres formidables, toujours en mouvement bla bla bla... Mais c'est un milieu brassant des sommes considérables dont les montants ne sont pas justement reversés à la base de la pyramide. Il y a ceux qui ont de l'argent, se font encore plus d'argent, et ceux qui travaillent pour que les premiers accroissent leurs richesses. Alors non, je ne m'estime pas heureuse parce que je ne travaille pas pour la gloire.

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